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Par Lucas Loiseau

VANITÉ:
C’est en descendant dans les catacombes de la ville de Paris, que Guillaume Laurent découvrit le crâne représenté sur la photographie. Objet symbolique de prédilection de la vanité, l’artiste se saisit de l’occasion pour immortaliser cette rencontre. En effet, cette confrontation soudaine avec la mort heurta violemment le photographe, qui venait justement de perdre un être cher.
La première métamorphose du deuil est endurée directement dans la matière, avec toute la brutalité que cela implique. C’est celle que traverse l’observateur du défunt, lorsqu’il recherche l’être aimé à travers son cadavre. Malgré la familiarité des traits et de la silhouette, son corps inerte, privé de l’étincelle de vie, nous apparaît comme étant celui d’un étranger.
Cette photographie est un miroir disposé devant notre regard. À travers l’observation du crâne, c’est nous-même que nous observons, sans filtre, ni artifice. C’est à cela que sert la vanité, à nous montrer la précarité de l’existence humaine. Retour

ABSTRACTION:
La deuxième métamorphose du deuil s’inscrit dans un mouvement de rejet de la matière, en réaction à la brutalité de l’expérience initiale: rejet de sa fragilité, de son caractère périssable, de l’incapacité qu’elle a de nous mettre en présence de l’être aimé.
L’abstraction est la solution que trouve l’esprit, lorsqu’il a le besoin de s’extraire de la dimension matérielle de l’existence, pour nouer un lien avec ce qui se trouve hors de cette dimension. Ce pourrait être les concepts médités par le penseur, qui chercherait à percer le secret de la mort à travers un travail rigoureux de l’esprit, ou bien les voyages intérieurs de l’endeuillé, qui désirerait retrouver l’être aimé dans la spiritualité.
Pour son abstraction, Guillaume Laurent nous propose un voyage hypnotique, éthéré, qui semble n’avoir ni commencement, ni fin, ni organisation spatiale précise. On se laisse volontiers absorber par les mouvements de la fumée, ectoplasme propice aux visions, telles les vapeurs hallucinantes d’une fumerie d’opium. Retour

AD MUNDUM:
La troisième des sept métamorphoses du deuil, c’est l’ad mundum dans tout ce qu’il a de plus glaçant et douloureux. À rebours des considérations métaphysiques et spirituelles de la photographie précédente, le retour au monde évoqué ici est une expérience traversée dans la souffrance et la violence, à l’image de la sortie de la caverne imaginée par Platon.
Un paysage de glace, un horizon pratiquement effacé, des silhouettes humaines voûtées, peinant à endurer les contraintes de l’existence physique dans un monde hostile: Guillaume Laurent nous raconte ici les déboires qui nous submergent, lorsque les impératifs de l’existence nous ramènent brutalement au monde.
L’être aimé, à tout jamais absent de cette nouvelle réalité, fait place à une douleur vive et tenace qu’il faut affronter, comme on affronterait un hiver sombre, déchirant et sans horizon. Retour

L’ÉCRAN BLANC DE MES NUITS NOIRES:
Quelqu’un a rallumé le projecteur du film. L’écran brille avec force, illuminant les premières rangées de spectateurs. Nous sommes encore partiellement plongés dans le noir, incapables de dire avec précision où nous sommes, et avec qui nous sommes. Seule certitude : l’écran s’est rallumé, miraculeusement, nous invitant à le contempler afin d’y découvrir, on le suppose, les premières images d’un film.
La présence d’autres spectateurs, conjuguée à leur absence d’identité, renforcent le sentiment de solitude. Quant à la pénombre partielle dans laquelle nous sommes plongés, elle nous rappelle que les ténèbres ne nous ont pas quittés. Les nuits sont encore noires de chagrin, de douleur, mais l’écran blanc s’est rallumé, telle une lueur d’espoir.
Le film en question, c’est celui de nos vies. S’apprête-t-il à redémarrer ? C’est, semble-t-il, en bonne voie. Retour

PORTRAITS DE QUELQUE PART:
Dans ce diptyque, les personnages redonnent enfin une figure humaine à l’existence. Ces visages sont une réponse directe à la vanité, en sens où ils opposent à la figure de la mort, incarnée par le crâne, deux véritables visages en pleine possession de leur vitalité.
Le surgissement soudain de ces deux images, où l’on ne se contemple plus soi, mais où l’on redécouvre l’altérité, renforce le sentiment d’être revenu au monde. En effet, en reconnaissant l’autre, le sujet en deuil atteste qu’il s’est suffisamment détourné du monde des défunts, pour sortir de la solitude extrême dans laquelle l’a plongé l’expérience de la mort. Retour

CHÈRE ENVIE:
Ici, il est question du grand retour de la pulsion de vie. En effet, la redécouverte du désir charnel symbolise que, non seulement nous avons fait la paix avec la dimension matérielle de l’existence, mais qu’en plus nous sommes de nouveau capables de la désirer, animé d’une volonté de jouir de notre chair en vie.
Dans cette sixième métamorphose, les corps sont aux antipodes de ce qu’ils seraient à l’état de cadavre. Les chairs sont rosées, baignées d’une lumière douce et pleine de chaleur. L’image nous donne l’impression d’une renaissance, dans laquelle on se redécouvrirait physiquement, à travers ce que le corps propose de plus doux.
Mais ne nous y méprenons pas. Cette pénultième métamorphose n’est absolument pas placée sous le signe de l’oubli. Car le temps, incarné par le sablier, pose discrètement à côté des deux sujets principaux. La présence de cet autre symbole de prédilection de la vanité, nous invite à penser que, si le sujet s’abandonne ici aux plaisirs de la chair, il le fait avec une sagesse nouvelle, une conscience affinée de la condition humaine. En effet, la véritable sagesse ne consisterait-elle pas à s’abandonner complètement à la vie, en ayant conscience, et de sa condition de mortel, et de la vacuité de l’existence? Le sablier, ici, c’est notre memento mori. Retour

PLÉNITUDE:
La paix intérieure est enfin retrouvée, le plaisir d’être au monde également. Cette ultime métamorphose signe un retour à la sérénité, et la fin d’une méditation douloureuse, à travers laquelle le sujet s’est profondément métamorphosé.
Le calme, la douceur d’une météo printanière, le bonheur d’observer un paysage somptueux, baigné d’une lumière qui le sublime: tout cela nous invite à penser que nous avons fait la paix avec ce monde, et avec la vie.
Reste la lune, représentée sous une forme qu’on ne lui connait pas. Et si ce faisceau de lumière insolite, n’était autre chose que la présence réconfortante d’un fantôme dans le ciel ?
Dans cette dernière photographie, l’artiste semble animé d’une volonté vivace de faire cohabiter harmonieusement, le monde des vivants et celui des morts. Retour